Une couille dans le pâté (de Rochechouart) !
Un matin j’arrive à la boucherie de Dédé pour y prendre mes
andouillettes. Là, coiffé d’un stetson, un gars que je ne connaissais pas, lui
confiait qu’il venait s’installer à Rochechouart pour étudier l’astroblème.
Tout en pesant quelques joues de bœuf débitées en
bourguignon, mon Dédé bavardait : « Et d'après-vous, Puchezh-Katunki fait
partie de la catena ? Y a 1,654 kg, je vous laisse le tout ?
- 650, ça ira ».
Le voilà reparti sur sa marotte, me dis-je, agacé ! Depuis
qu’en 69 Dédé a appris le coup du cratère subséquent à la météorite, il lit
tout sur le sujet. Un expert ! Ciao ! émit l’autre, payant en hâte.
« Alors, Dédé, lui
lançais-je un brin narquois, on fait le guide touristique pour cow-boys
géologues ?
- Boh, je m’en fous comme de mon premier onglet mais il m' a
dit qu'il connaissait Marcel, alors… »
« Le Marcel
Chabernaud ? Lui rétorquai-je.
- Celui-là même !
C’est LE Rochechouartais qui a réussi aux USA. Notre oncle
d’Amérique, quoi ! Il a retapé la maison de famille et revient de Dallas aux
vacances.
Je reçus la nouvelle comme un choc. J’étais sonné. Je pris
le paquet des mains de Dédé et sortis sans penser à le saluer. Le retour de
Marcel allait changer bien des choses. A commencer par mon dîner.
Marcel revenu allait-il ouvrir un restaurant où je pourrai
déguster sa fameuse revisite du pâté de Rochechouart ? Ah ! Ressentir le choc
gustatif éprouvé à Dallas lors de mon passage dans son restaurant !
Arrivé chez moi, je me préparais une andouillette de Dédé (à
la poêle, 20 mn avec une échalote, puis 5 mn avec un peu de crème fraîche et de
moutarde, un délice). En les mangeant, je pris ma décision.
Il me fallait convaincre Marcel de s’établir ici. Je
salivais par avance à l’idée d’avoir à deux pas de chez moi et donc à portée de
main, un estanco où il aurait servi la même carte qu’à son époque américaine.
J'avalais d'un trait mon yoghourt et me levais aussitôt. Je
pris ma veste – mes clés étaient dans la poche – et sortis. Je savais qui
pourrait me donner le numéro de Marcel mais il fallait faire vite.
Passant en voiture au centre je vis l’homme au stetson qui
tirait une lourde valise. Je m’arrêtais et lui proposais de l’aide. Il hésita,
regarda sa valise, opina et la casa en ahanant dans le coffre.
« Où puis-je vous déposer ? À la gare ?
- Non, répondit-il. Je ne pars pas. Laissez-moi au coin de
la rue Theillaud et de la rue Robinson, ce sera parfait. »
Ça me faisait faire un détour mais tant pis.
Engagez la conversation avec ce zozo-là, c’était pas
facile...même en angliche. Fermé comme une huître ! À l’arrivée, il claqua le
coffre. Sur le siège, tombé de sa poche, une photo. Mais c’était....!
Pourquoi un géologue du dimanche aurait-il en poche la
trombine de Marcel ? Se connaîtraient-ils ? Mais pourquoi l’amerloque n’en
aurait-il pas parlé à Dédé, au lieu de le bassiner avec l’astroblème ?
Ce type était vraiment louche ! Raison de plus pour
contacter Marcel et lui en parler. Au bistrot du Centre, le patron me donna
sans questions son 06.
« Allo, répondit une voix agressive. C’est qui ? »
Et merde ! Je tombais mal, sans doute.
« Marcel ? C'est Jacques… »
Au bout du fil, quelque chose changea.
« Oh, Jacques, fit Marcel adouci. Je suis heureux de
t'entendre. J'allais justement t'appeler. »
Quelques heures après, je me rendais au rendez-vous avec
Marcel. Tout d’abord, il m’annonça à ma grande joie l’ouverture de son
restaurant « Le Tonneau de Léonce » puis nous versa à boire en disant :
« Ne te retourne pas. Y a un mec de l'autre côté de la rue.
Il me suit depuis dix jours. »
Je jetais un œil.
« Regarde pas, j’te dis. S'il m'arrive quelque chose, je
veux que tu récupères mon chapeau. »
- Mais Marcel, ça ne me va pas du tout le stetson, dis-je
pour essayer de détendre l’atmosphère.
Marcel, là, ne rigolait pas et me dit quel rôle il avait joué
malgré lui dans le complot contre Kennedy.
Jackie voulait quitter John et s’installer à Rochechouart
avec Edgar Hoover mais son majordome, Isaac Zapruder, avait microfilmé leurs
courriers et les faisait chanter. L’agent Oswald devait négocier.
« C’est dangereux, tu sais ! Ça serait mieux pour toi que tu
fasses comme si tu ne me connaissais pas. Tu n’imagines pas dans quelle
histoire tu pourrais t’embringuer ! Tant de témoins « suicidés »...
Marcel triturait les bords de son Stetson, qui ressemblait à
s'y méprendre à celui de l'Américain de chez Dédé.
« Marcel, m'enquis-je, es-tu sûr que tout va bien ? »
Mon ami secoua négativement la tête.
« Jacques… j’ai
récupéré le microfilm que l’agent du FBI a caché dans un de mes pâtés de
Rochechouart tandis qu’on attendait l’arrivée du cortège présidentiel !
Zapruder, lui, n’était qu’un leurre ! »
J'avais l'impression d’être dans une série américaine mais
tout semblait pourtant si évident : la duplicité de Zapruder, l'accord
Johnson-Hoover, et surtout ce lien fatal entre Jackie et Rochechouart.
Il conclut ainsi sa longue confession :
« Voilà....tu sais tout, Jacques, toi aussi ! Tout le
dangereux secret de l’assassinat de Kennedy est caché là dans le fond de mon
stetson qui me suit partout. »
Il me salua et je le vis s’éloigner, la tête basse. J'étais
certain qu'il n'aurait pas le courage d'aller jusqu'au bout. Lui-même devait
douter, à en croire sa démarche lente et résignée. Et pourtant…
Devant mes yeux médusés, je vis au journal de midi sur la 3,
Marcel tenir sa promesse : alors qu’on l’interrogeait sur l’inauguration de son
restau, il lâcha qu’il savait tout sur l’assassinat de JFK.
Les chaînes d'information diffusaient la nouvelle en boucle.
Chacun y allait de son explication, de son interprétation, de sa supposition.
L'avenir du monde semblait se jouer sous nos yeux hypnotisés.
Tous ces scoops, ces tranches d’histoire ne devaient pas me
faire oublier que l’ouverture (le big
opening, comme Marcel l’américain aimait dire) de son établissement allait
avoir lieu.
L'accident du matin me trottait encore dans la tête quand le
poussais la porte de l’établissement. Il fallait que je mette cette contrariété
de côté pour profiter pleinement. Je n'allais pas me gêner.
Dans le bistrot de Marcel (cuisine soignée) j’étais installé
à table devant une potée limousine et m’apprêtais à y plonger ma fourchette
quand soudain, un crissement de pneus, des portières qui claquent.
La vitrine du restaurant vola en éclats. Une pierre frôla
son visage et acheva sa course sur une bouteille de ouisqui. Une feuille
arrachée à un cahier l'enveloppait. « Ils arrivent » y était inscrit.
Lisant ce message, Marcel comprit qu’il devait fuir vite
mais dans la rue, le cow-boy et un autre type en noir avec une jovialité
outrée, le prirent par les coudes et le forcèrent à retourner d’où il venait.
Un coup de poing l’envoya au pays des étoiles.
Il ouvrit un œil. Le seul dont la paupière pouvait encore se
mouvoir. Combien de temps était-il resté inconscient ? Il n'aurait su le dire.
Suffisamment pour que ses cerbères relâchent leur attention.
Marcel avait tenu bon face à eux toute la nuit malgré les
coups et avait réussi à garder le secret de la cachette du microfilm. Il se rua
vers la porte, prit le précieux stetson, dévala les escaliers.
Arrivé au premier, il stoppa net. De chez la Françoise
s’échappait un fumet de tripoux. Après avoir hésité un instant à s'incruster
chez l'avenante voisine, il reprit sa course mais il lui en coûtait.
Caché dans le local aux poubelles de l’immeuble, Marcel
poussa un soupir de soulagement : il avait échappé aux tueurs. Il m’appela pour
me dire que : pute borgne ! Il lui aurait coûté ce secret sur la mort de
Kennedy !
Pour un peu, on aurait pu entendre siffler l'harmonica
d'Ennio Morricone. Mais à bien écouter, on ne pouvait ouïr que la rombière du
quatrième beuglant sur son julot pour qu’il daigne mettre la table.
Écrit à deux mains par
paquets de 200 caractères (presque) quotidiens et en alternance début-fin.
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