DEUX ANDOUILLETTES, LA PREMIERE
Il faut que je vous en parle, je
vais vous raconter, ça vaut le coup d’œil vous verrez. Cela s’est passé
exactement comme je vous le dis, c’est à prendre au pied de la lettre. Un matin
comme tous les autres, je m’en souviens comme si c’était de la dernière pluie.
Méfiantes les particules fines voletaient dans l’air ambiant, les fientes des
pigeons en faisaient autant. Suivez-moi,
ce n’est pas bien loin, à deux pas de là, juste en bas de chez moi. Voilà,
c’est ici que tout a commencé.
Un matin, j’arrive à la boucherie
de Dédé pour y prendre mes andouillettes comme je le fais chaque jour après
avoir été acheter mon journal et mon pain. Toujours le même parcours, toujours
dans le même ordre. Mais je ne traine pas les pieds au début du trajet, j’y
vais le pied au plancher car je me réserve pour la fin. Faut que je vous dise
aussi que la libraire et la boulangère ne sont pas trop à mon goût. L’une est
froissée jusqu’à sa quatrième de couverture. La seconde est aussi rassie qu’un
bâtard né d’une fournée qui aurait fait un four. Malin comme je suis, je me
suis replié sur une demi-baguette.
Ce n’est pas que j’en raffole à
ce point ni que je cours après les andouillettes, mais comme sa boutique est au
rez-de-chaussée de l’immeuble, je me sens un peu obligé en tant que voisin.
C’est l’alibi que je me suis donné car même si ce n’est pas pour trouver
chaussure à mon pied, en fait j’y viens surtout pour sa femme à Dédé. Elle
tient les comptes, le gras double de sa poitrine servant d’antivol au
tiroir-caisse. Elle te rend la monnaie comme si elle payait de sa personne, je
te dis pas le pactole. Elle a tôt fait de te changer le pénis en verge et un
mini boudin antillais en andouillette calibrée 5A.
Mes andouillettes justement,
d’ordinaire elles sont déjà pesées, emballées, peut-être de la veille va savoir
d’ailleurs, le ticket coincé dans le papier d’emballage. Je ne change jamais de
plat, comme cela tout est réglé d’avance. C’est une tactique que j’ai mis sur
pied. On se comprend sans parler, juste avec mes yeux dans les replis de son
corsage. Mais ce fameux matin quand arrive mon tour, la Ginette ne déplace pas
sa longe de porc vers le frigo. Moi qui viens spécialement pour elle, la
regarder pivoter d’un seul filet et ce n’est pas du faux, je suis désappointé
plus que par l’absence de mon petit paquet de victuailles.
C’est la concierge qui va être
déçue car souvent je lui refile mes courses en échange de quoi elle me remonte
la pendule à midi pile. A l’inverse, ma concierge elle est toute menue comme
une hélicicultrice qui aurait autant dégorgé que ses gastéropodes. Ce que
j’aime le mieux chez elle ce ne sont pas les cornes d’escargot de son époux qui
picole aux chemins de fer, mais l’affûtage à gorge déployée de la lame de mon
couteau suisse dans l’escalier fraichement lustré à la cire d’abeille. Elle
n’est pas plus écolo qu’une tisane au glyphosate, mais elle a toujours peur d’être au chômage
quand les abeilles auront disparues qu’elle me fait en même temps que le reste.
Figurez-vous, une histoire de
livraison à ce qu’il parait. Pas de chaudin de porc, pas d’intestin de cochon,
pas de fraise de veau, pas même une embouchure d’anus de porcelet innocent
comme un enfant de chœur. Les Halles c’est plus ce que c’était depuis qu’ils
ont rebouché le trou avec des magasins qui n’attachent pas leurs fringues avec
des saucisses. On ne s’est jamais causé à part bonjour, au revoir et merci
entre les deux. Mais ce matin ça n’arrête pas le papotage entre nous. C’est
elle qui ouvre le grand débat sans me casser les pieds. Qu’est-ce que vous
prendrez à la place ? Qu’est-ce qui vous ferait plaisir pour changer un
peu ? Une côte dans l’échine, du lard fumé, un filet mignon ? Mignon,
voilà qu’elle m’appelle mignon maintenant et en plus devant son mari et la
clientèle. Faut rester calme, pas se tirer une balle dans le pied car le Dédé
il fait bien lui aussi dans les carrures de charolaises. Mais malgré tout, elle
a raison de ne pas avoir tout à fait tort. Avec l’andouillette on est plus à
même d’en venir à parler de parties de jambes en l’air que devant une
respectable tranche de foie gras. C’est vrai en y pratiquant de plus près,
l’andouillette est à la fesse ce que le foie gras est à la messe.
Alors ? Vous avez fait votre
choix ? J’ai du monde moi monsieur Paul. Heu ! Oui, non, pas encore,
je réfléchis. Il y en aura demain au moins j’espère que je lui demande. Je ne
sais pas quoi prendre d’autre et faudrait pas que notre concierge s’imagine que
je la trompe avec une nouvelle charcutière si elle me voit rentrer avec des
pieds ou des oreilles de porc. Et puis si ça se trouve et comme je la connais,
elle n’est pas trop attirée par les
pieds ou les oreilles. Elle préfère s’arrêter entre les deux pour
prendre son pied, un peu comme un palier. Son morceau préféré c’est de tailler
la bavette et pas que.
Je vous conseille nos fameux
pieds paquets faits maison cher monsieur. Tant pis pour la bignole, j’opte pour
un paquet de pieds s’il vous plait. Des pieds paquets vous voulez dire qu’elle
me reprend tout haut comme si de rien n’était devant tout le monde. Vous allez
aimer ça, vous verrez, c’est de la panse de mouton avec de la tomate, du vin et
des herbes et des pieds de porc et … Et la tête alouette, si elle savait comme
je m’en fiche, c’est toujours pas moi qui vais les becqueter ses arpions, alors
elle peut se les manucurer à la sauce qu’elle veut. Mettez m’en un droit, ça
porte bonheur.
En même temps que je paie je me
dis que ses pieds à elle et bien je ne les ai jamais vus, ni ses guiboles. Je
ferais des pieds et des mains pour les apercevoir. J’y travaille d’arrache-pied
sans jamais lever le pied. En attendant je les imagine avec la gueule de
l’emploi, c'est-à-dire pleines de varices ressemblant à des boudins noirs comme
deux gouttes de sang. Et tout de suite après je me fais plaisir en sortant de
la boutique en les dessinant dans ma tête longues et charnues comme du jambon
de pays. La trombine et l’avancée mammaire, pas plus. Elle n’en dévoile pas
davantage même quand son mari est occupé à trancher le lard dans le vif. Aucun
bas morceau visible à l’horizon. Cache-t-elle un pied-bot sous le
comptoir ? Elle se méfie ou elle est jalouse. Elle doit se douter pour la
concierge, on a la même. A lundi que je lui lance au moment où le carillon de
la porte retentit sous ma poussée.
C’est exactement ce même jour que
la concierge a renversé la sauce tomate entre sa loge et mon étage. Quand je
vous disais que les pieds ce n’est pas son truc à la pipelette. Elle a fait
simultanément la tête, tout un fromage et failli mettre les pieds dans le plat.
Pour un peu elle me traitait de cornichon
comme si je n’avais plus le droit de lui tâter la fraicheur du produit. Sur le
coup, tout bénef pour sa pomme, elle a eu droit au pied gratuit puisqu’elle est
redescendue comme si elle marchait sur la pointe des pieds chercher la
serpillière en tenant la barquette aussi religieusement que s’il s’agissait
d’une hostie.
Enfin, je ne sais pas si on les
tient ainsi les hosties, j’ai jamais eu les sous pour me payer du foie gras.
Pour me rendre compte, je pourrais très bien aller me renseigner de visu le
dimanche. Dédé est fermé et le mari de la concierge est de repos. Celui-là, il
ne doit pas savoir qu’il y a du pinard dans les églises sinon il se
convertirait. Alors je fais le sudoku du canard d’hier. Pour les placer je les
place les chiffres mais il y en a toujours deux ou trois qui reviennent plus
qu’il ne faudrait si j’en crois le résultat le lendemain. C’est comme le
tiercé, je n’y joue jamais, ça ne sert à rien, Dédé ne fait pas chevaline dans
son commerce.
Encore raté, ce n’est pas le
pied, moi qui voulais voir les siens à ma bouchère. Comme si je m’y prenais
comme un pied. Pas question de rester les doigts de pied en éventail, je
l’aurais un jour, je l’aurais, je n’ai pas les deux pieds dans le même sabot.
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