Le terroir, qu’est-ce ?

L’ordre du jour comportait trois points. La salle était pleine : chaque année, l’assemblée générale attirait beaucoup d’adhérents. 

Il faut dire qu’en ce temps-là, en Haute-Vienne, on s’ennuyait ferme, d’où l’affluence ! Le conformisme et la bien-pensance ne sont pas générateur d’extravagance. Surtout lorsque la délation, fille aînée de la surveillance, incite les plus hardis à ne pas quitter le sillon qui se trouve devant eux, sillon étrangement semblable à celui qui se trouve derrière, voire à côté : cette coïncidence troublante n’est toutefois pas de nature à ébranler les membres de l’association, les végans, puisqu’il faut les appeler par leur nom. 

Ils ont pris le pouvoir. Comme toute minorité agissante, le militantisme, le lobbying, les fake news, ont eu raison de la raison : la consommation de viande est devenue interdite sous peine d’écartèlement en place publique à l’aide de quatre manivelles actionnées par des hommes. Hé oui, les chevaux, habituellement utilisés, pourraient être traumatisés par cette tâche et demander à Boris Cyrulnik d’adapter sa théorie de la résilience aux bourrins n’est pas simple, en particulier pour les percherons qui n’ont pas de suite dans l’équidé. 

La viande, la barbaque, la bidoche ! Que de souvenirs dans la mémoire des anciens qui, désormais, lisent les recettes de Carême, Escoffier et autre Brillat-Savarin à leurs petits enfants pour les endormir. Dis Papy, tu nous racontes à nouveau l’histoire de ce canard dont on écrase le cœur pour récupérer le sang avec lequel on fera la sauce ? 

L’élevage a été rayé du terroir au profit du quinoa, du soja et du chia. Le Bourguignon n’est plus que le mari de la Bourguignonne, le deuil de la poularde est définitivement complet, la poire n’est plus qu’un modeste fruit, le merlan un quelconque coiffeur et l’araignée une bestiole ornant le plafond des fêlés. 

Après avoir obtenu le silence, le Président prit la parole : 

— Chers amis végétariens, végétaliens, végans, amateurs de tofu et de tout ce qui se broute, soyez les bienvenus. Sans ambages, d’emblée et néanmoins in petto, je vous suggère d’aborder le premier des trois points de l’ordre du jour : La pomme de terre femelle a-t-elle une âme ? 

Brouhaha dans l’assemblée car le sujet est clivant. Si la réponse est non, cela signifierait que la moitié de ces tubercules ne se serait pas confessée avant épluchage, ce qui rend impropre leur consommation, surtout sous forme de purée, mélange assimilable à une énorme partouze. De fait, Il m’étonnerait fort que la Belle de Fontenay n’ait pas quelques écarts salaces à se reprocher ! La discussion fut âpre d’autant qu’il n’est pas aisé de distinguer le mâle de la femelle hormis lorsqu’elle est en robe des champs. 

Un moratoire fut adopté. En attendant, on autorisa la consommation de pommes de terre seulement quand elle comporte un germe comparable à un attribut du sujet masculin. 

Reposant le verre lui ayant permis d’humidifier ses amygdales, sa luette et ses aphtes, le Président poursuivit : 

— Pour qui veut prendre le pouvoir, l’appropriation du langage et de sa sémantique est aussi importante que la maîtrise de la kalach. Grâce au travail remarquable de nos militants, les animaux sont devenus nos frères : ils ne s’accouplent plus mais font l’amour ; les femelles sont enceintes et accouchent au lieu d’être grosses — à la limite gravides — et de mettre bas. Les petits constituent des fratries et non des portées et quand tout ce petit monde calenche, on dit qu’il décède, exclusivement réservé au genre humain avant notre grand Remplacement. Nous avons donc réussi à imposer l’idée que l’animal est un homme comme les autres. Conséquence : la zoophilie n’existe plus et sauter du coq-à-l’âne n’est plus un délit ! Continuons notre travail de déconstruction en adaptant la langue française à notre idéologie. 

Cette référence à la déconstruction dérida les plus sceptiques. Dans la foulée, il fut décidé de remplacer l’expression un mal de chien par une souffrance dont le niveau sur le baromètre de la douleur ferait se retourner Torricelli trois fois dans sa tombe et pour un ours mal léché, on opta pour un plantigrade dont la femelle est extrêmement maladroite

Lorsque le troisième et dernier point de l’ordre du jour fut abordé, tel un tsunami, le silence inonda la salle : le sujet était sensible car le chef de la police secrète, surnommé le général végan tellement il consommait de légumes, avait intercepté une communication cryptée. Grâce au transpondeur morphique à fréquence tubulaire sous-jacente, il put en obtenir la traduction : « Un matin, j’arrive à la boucherie de Dédé pour y prendre mes andouillettes » 

Quoi ? Comment ? Qui ose évoquer l’interdit, l’innommable ? Qui sont ces irréductibles capables d’éviscérer une espèce d’ongulé et de le transformer en andouillette sous prétexte qu’il a rendu de longs et boyaux services ? N’oublions pas que le Limousin est une terre traditionnelle de résistance. Sa devise, « Tu seras un Ohm, mon fils » orne les frontispices de tous les bâtiments officiels de la ville. Lors, qu’une résistance à la doxa végane ait vu le jour dans ce terroir où la charcuterie à base de cul noir réjouit les palais de ceux qui se nourrissent pour le plaisir et la convivialité et pas seulement par nécessité, reste dans l’ordre des choses. Ces opposants clandestins, hédonistes, qui adorent les animaux quand ils sont cuits — hormis le tartare et les huitres — communiquent secrètement pour échanger recettes, bonnes adresses et fixer des rendez-vous afin de ripailler de concert autour d’un cassoulet, d’un gigot, voire d’un cabri au lait. Ils vénèrent Jésus, pas celui de Nazareth mais celui de Lyon et ils apprécient autant le chaudin que la chaudasse. 

Depuis l’avènement de ce monde aseptisé et insipide, la sensiblerie, l’émotion et l’égalitarisme font office d’intelligence. Le cœur, qui n’est qu’une pompe, tient lieu de cerveau. 

Je connais bien cette résistance : c’est moi qui ai écrit ce message à base d’andouillette ! Je vais devoir changer la grille de décryptage. Les mangeurs de foin, les addicts au boulgour avec ou sans gluten m’ont incité à prendre le maquis, à rejoindre la clandestinité.

Quand ils sont venus chercher les éleveurs, 
je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas éleveur, 
Quand ils sont venus chercher les bouchers, 
je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas boucher, 
Quand ils ont incendié le « Pied de Cochon » et les « Hippopotamus », 
je n’ai pas protesté parce que je ne fréquentais pas ces restaurants. 
Et quand ils viendront me chercher, il n’y aura plus personne pour protester. 

Adieu veau, vache, cochon, couvée… 

Cher lecteur, résiste ! Prouve que l’homme omnivore existe ! Ensemble, mettons fin à la dictature des minorités, la survie de notre planète en dépend. 

Sinon, à cause des végans, les carottes seront cuites.

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