Mots, d'air mités

Ah les mots ! Quelle belle invention ! Ça t’entourloupe, ça te fait prendre des vraies scies pour des lents ternes. Des lentilles (du Puy) pour du caviar (de la Baltique). Regarde ce qu’il en fait Pierre Michon...il t’a pris une poignée de pèquenauds que le monde se souvient même plus de leur passage douloureux ici-bas et va-z-y que je te Creuse, il en a fait des inoubliables, des statues de l’île de Pâques. C’est ce qu’ils font quand tu as la grâce, les mots. 

D’autres te prennent des mots qu’on a en bouche depuis des siècles et décrètent qu’ils ne sont pas assez beaux pour nos bouches modernes. Alors ils en créent des neufs au goût du jour et les lancent dans le monde qui pourtant ne leur a rien fait de mal. Ces « communicants » viennent, exactement comme les vases du même nom, se vider en nous de leur néo-mots cousus de fil blanc, lourds comme le ciment coulé au pied d’une balance de la mafia dans la baie de Naples. Pourquoi ? Pour nous faire croire que nos vies de gueux ont du panache ! Et qu’on soye plus contents de la vivre avec la gueule de ravis de la crèche. Qu’on la ramène pas à se plaindre et qu’on se délecte des brillants mots de leur sabir. Leur novlangue à la 1984. 

Ils se réunissent sans doute, ils prennent un mot, ils le regardent du haut de leurs dix plômes. Le mot n’en mène pas large. Il siffloterait s’il savait siffloter. Il compterait ses pieds sur ses doigts, s’il avait des doigts. Mais il a que des pieds le mot ! Alors il attend que ça passe campé sur ses pieds, justement. Grossière erreur ! Ça ne passe pas ! Les « communicants » le toisent, le jugent. Voilà, c’est ça : ils lui font un procès. Sans avocat pour leur dire : « Regardez, c’est un beau mot qui a dit la vie minuscule des gens. Re-gardez-le, parce qu’il raconte une histoire.». Mais voilà, pas d’avocat pour sa défense et le vieux mot se fait dézinguer parce qu’il donne aux gens l’idée de leur misère. Et qu’il ne faut pas qu’ils y pensent de trop des fois que ça leur donnerait des idées. À cause d’un mot, ils pourraient avoir envie de ressortir les faux rouillées et les piques d’un autre âge. Tu sais où ça commence, pas où ça finit. Ces gens de rien, ils te demandent « Pain ? », tu leur réponds « Brioche ! » et boum...si ça vous montre pas la force des mots ça ! Après, on brise la pastille, et on fait qu’une bouchée de la reine. C’est la fin des institutions ! Et c’est pas bon pour le commerce. Or le commerce, c’est sacré ! Alors avant que ça te pète à la gueule, il faut créer des mots brillants qui donnent un sentiment d’importance. Il faut les envoyer voguer sur le bassin de nos frustrations tout blancs-blancs comme un bateau blanc qui danseu-eu. Dans la réunion, soudain, il y en a un qui crie « Euréka » : il a trouvé un mot-remplaçant ! Puis notre t’es-que-nocrate attend de voir à quelle vitesse son nouveau mot va remplacer le vieux mot dans la tête du populaire. Son mot, d’abord il fait la pute sur les trottoirs des administrations. Tout fringant, les seins hauts, le cul ferme, le talon aiguille qui claque. L’autre vieux, il peut pas lutter ! Il a deux cents ans, la mamelle qui pendouille, la fesse en poire et il traîne des pieds. Il est pas bandant, quoi. Ah ! Splendeur et misère des courtisanes ! Alors tous les rédacteurs de textes divers, ils montent avec le nouveau. Ils lui reluquent le mollet et plus dans l’escalier pour aller faire leur affaire. Voilà, ils sont mordus ! Et comme tous les puceaux qui viennent de découvrir la jouissance, chaque fois qu’ils glissent le nouveau mot dans un texte, ils se sentent chaud comme la braise avec l’envie de prendre la langue française, tout de suite, là, comme des bêêêtes, sur le bureau à eux fourni par l’administration. 

Comme ça, sautant de texte en texte, le mot nouveau fait son chemin. Il descend dans les strates de la vie publique depuis le prestigieux décret ministériel rappelant au respect de l’hygiène dans les locaux voués à l’enseignement primaire jusqu’à l’arrêté municipal sur les heures attribuées au nettoyage de l’école de Trifouillis. Là, il reste accroché sur le panneau de la vitrine adhoc au mur de la Mairie. Exposé aux vents et (assez peu à Trifouillis) aux marées jusqu’à devenir illisible de trop de soleil. Mais avant, tout le village l’aura lu en allant au pain, poireauter devant l’école ou boire un canon. Le retraité laissant tourner le moteur diesel, le jeunot faisant pétarader sa mob, la mémée qui fait son tour ou le gars qui vient chercher un formulaire rapport à la PAC. Le mot qui surprend d’abord la population rurale finit par faire son chemin dans leurs cerveaux. Voilà le mot installé à Trifouillis. 

Ô Peuple crédule, c’est ainsi qu’on t’en...tube avec la langue ! 
Lecteur, remémore-toi les vers de Charles, notre Albatros national : 
« C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent ! 
Aux objets répugnants nous trouvons des appas ; 
Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas, 
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent. » 

Charles met le doigt ousque ça nous titille : l’humain est prêt à se damner pour des trucs clinquants.

Lecteur méfiant, veux-tu preuve de ce que j’avance ? Laisse-moi te narrer une anecdote. 

Un matin j’arrive à la boucherie de Dédé pour y prendre mes andouillettes. Le soleil brillait et j’étais de fort bonne humeur à l’idée de mon déjeuner que j’allais faire glisser avec quelques verres d’un Montlouis-sur-Loire produit de la belle Touraine que Balzac célébra en termes dits « tire-en-bique » (cette activité, soit dit au passage, étant pourtant plutôt attribuée au légionnaire qui sent bon le sable chaud voire au paysan solitaire qu’aux écrivains parisiens) : 

« Honte à qui n'admirerait pas ma joyeuse, ma belle, ma brave Touraine dont les sept vallées ruissellent d'eau et de vin ! » 

J’entre donc dans la boucherie-charcuterie pour quérir mes andouillettes AAAAA. (Non ce n’est pas dans un grand éclat de rire que je passais ma commande, bande de sots ! AAAAA pour tout gastronome un peu sérieux est la marque d’une andouillette de qualité). C’est alors que la Lucette pousse sa serpillère javellisé dans mes brodequins. Me tournant vers elle, je m’apprête à lui rappeler le respect dû au client mais mon sang ne fait qu’un tour (un peu long, faut dire, vu mon gabarit actuel). Lucette qui est femme de ménage chez Dédé porte en place de son habituel tablier en satinette violette une blouse en nylon rose pétant. Outre que ce nylon, pur produit de la pétrochimie, dénote dans l’univers de terroir du commerce à Dédé, il faut bien admettre que Lucette n’y est pas à son avantage. Vous m’objecterez que le rose est en accord avec le jambon à l’os dans la vitrine. Que le rose est couleur des filles ce que Lucette fut (même si, la voyant maintenant, on a du mal à le croire). Que le nylon sèche plus vite que le coton. Certes...mais il est un âge-comme dirait Cristina Cordula à la tévé-où on ne peut plus tout se permettre. La blouse en nylon rose qui boudine, ça vous fait un derrière encore plus gros et c’est une couleur peu flatteuse à proximité du teint d’une rurale soixantenaire un tantinet couperosée ! 

J’interpelle alors ainsi la boudinée : « Dis donc, Lucette ! Tu ne pourrais pas faire attention au client ? Mes croquenots, c’est du pur cuir de veau mort-né et ça m’a coûté la peauduc ! C’est pas pour finir dans la Javel. Ça supporte que la graisse de yak tibétain acheminée à dos de sherpa de même origine au long de la Route de la soie. De plus, si j’ose, késsekeucé cette blouse rose ? » 

Et Lecteur, c’est chez Dédé en cette matinée printanière que la modernité m’est tombée sur la cafetière en même temps que la réponse de Lucette, me prouvant que la malfaisance concoctée par les néologues germanopratins pouvait atteindre même la Haute-Vienne. 

« Fait excuse ! Je sens pas ma force quand je passe la serpière. 
Pour la blouse, c’est ce qui se fait de mieux dans le catalogue de La Redoute qui habille la femme moderne et c’est un modèle recommandé pour nous autres, les techniciennes de surface. »

Commentaires

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés