Mémoires d'Outre-Dombre


   Je séjournais l’an dernier chez mes parents dans leur jas au Barroux en fin d’été. On siestounait peinards sous le platane quand le bigophone nous a fait sursauter en pleine digestion sur nos méridiennes, mon père ronflotant la figure dissimulée sous le Dauphiné libéré, ma mère endormie sur les mots croisés du Canard qui lui était tombé des main. Je rêvassais en tentant de dénombrer le nombre de sauterelles au m2 s’ébaudissant autour de moi en ces temps d’anthropocène. J’en étais à zéro et j’ai couru décrocher dans la maison.

   C’était Éric Dombre, un revenant que mon père a rencontré dans les années 50 et qui l’a escorté dans l’épopée Europe-Asie-Afrique au cours de laquelle ils ont croisé − en Afghanistan, Iran et Pakistan − Nicolas Bouvier et Thierry Vernet qui usageaient le monde. Bouvier raconte p. 331 à 333 des Correspondances des routes croisées, dans sa lettre du 4 nov. 1954 de Kaboul, comment sa Topo a percuté sur la route de Kandahar la caravane d’autochenilles du Raid Renault que mon père cinéaste dirigeait sur 35.000 kms à travers 27 pays. Dombre faisait office de traducteur de cette improbable expédition. Bouvier le mentionne dans L’usage du monde  où il l’a rebaptisé « Outre-Dombre par Chateaubriand » ou plus sobrement « Dodo », même si leur odyssée ne les a pas embarqués vers l’Île Maurice.

   Voici que 60 ans plus tard, cet escogriffe-zombi d’outre-tombe surgit en revenant des fifties sur le Ventoux, crâne pelé comme un œuf dur mais l’œil toujours brillant. Il a localisé à la poste de Carpentras le repère de son vieux coéquipier et, hic et nunc, annoncé par un bref coup de fil son arrivée imminente armée d’une bouteille de Beaume de Venise. 1h après, sa teuf-teuf cahote vers des 3 cyprès/repère de notre boîte à lettre.

   - Ça alors ! Qu’est-ce qui t’amène ? (mon père émerge des pages du Dauphiné qui ombrageaient son roupillon)

   Ma mère remballe grille ADN et crayon-gomme et on sort le pastaga, les olives et les oreillettes pour écouter les tribulations d’Outre-Dombre. On installe à l’ombre ce flandrin digne d’être une créature de Cervantès, sorte de clone Jacques Tati mâtiné Don Quichotte, mais version crâne glabre. 

   L’huluberlu dégingandé a décidé au tournant du millénaire de relever une gageure spatio-temporelle. Ou comment un sympathique quidam lance un défi insolite face aux totems & tabous des Dpts français et des calendriers. Si Bouvier & Vernet astiquaient l’usage du monde, lui affronterait l’usure du temps…

   Dodo a quelque chose du passe-muraille, son alter-ego chez Marcel Aymé… il a pointé son nez hors du vagin de sa mère pile-poil dans le trou du calendrier républicain, en plein panier percé un jour de vendanges, 2 ans avant les congés payés du Front Populaire, le 17.09.1934, dans la parenthèse éphéméride de 5 jours effacés du calendrier révolutionnaire de 260 j ours]. En effet, l’anniv de notre quidam tombe entre le panier − 30e jour de Thermidor/16 septembre grégorien – et le raisin − 1er de Vendémiaire/22 septembre grégorien, dont Brassens se fout royalement ! −.et ne figure pas sur le calendrier. Il a glissé hors de l’utérus maternel, faisant le chemin inverse des olibrius dans la Rosa de Maurice , mais l’histoire s’en fout comme un gant. Pour réparer l’offense, le-dit-Dodo décida de prouver son existence effective en ensemençant par un jet de pisse sur la terre nationale chaque 17 septembre dans un jeu de piste à grande échelle accordant la numérotation des dpts français au nombre de ses années.

   Ainsi, il eut 66 ans en 2000 dans les Pyrénées-Orientales, 66e dpt français, à Perpignan et passa un septembre ensoleillé dans cette préfecture où eut lieu au début du mois Visa pour l’Image, le Festival International de photojournalisme puis le 13e Jazzèbre. Le 17, après une balade romantique sur des berges de la Tet et le long des remparts, il termina la journée dans une taverne du Clos Banet où il s’envoya les spécialités catalanes du menu gastronomique et souffla ses 66 bougies.

   En choisissant pour ses 67 ans Strasbourg [Bas-Rhin/dpt 67] il ignorait qu’il fêterait cet anniv alsacien 6 jours après les attentats des Twins-Towers qui endeuilleraient NYC. C’est donc avec amertume qu’il mangea seulâtre son repas d’anniv Au Bon Art, songeant qu’il aurait été rigolo, s’il était né 1 an plus tard, de fêter ses 65 ans à Tarbes, en Htes Pyrénée, en flânant Halles Brauhauban et Marcadieu, déjeunant au Soixante-Cinq [clin d’œil à sa 65e année révolue] avec un gueuleton bigourdan, excursionnant à l’observatoire astronomique du pic du Midi, puis dînant d’haricots tarbais » au resto Contre-temps … Et né 2 ans plus tôt, il aurait mangé à Pau [dpt 64] des coucougnettes! Foin de mélancolie, il avait 67 ans ce 17.09.2001.
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   Je n’ai pas l’heur de vous faire saliver en égrenant dans cette chronique la liste des mets divins qu’a dégustés notre quidam au fil des 17 sept. et des dpts… Sachez que la combination entre les points de chute où le hasard ordinalo-alphabétique  l’envoyait s’avéra gustativement judicieuse. Ses papilles s’ajustaient aux spécialités locales en présentant ces 17 septembre, à chaque approche de l’équinoxe, des plats appropriés à son palais. Terroirs & territoires mariaient les saveurs, alternant secrets d’épices, jonglant en synchronie épicurienne entre recettes normande, auvergnate, savoyarde, provençale, picarde…  Même si je voulais par sadisme vous faire convoiter les trouvailles des géniaux maîtres-queux qui ont régalé Dodo, j’en serais empêchée par la contrainte de Rididine limitant ce CR à 8000 caractères. Je me borne à donner la liste de ses déambulations hexagonales chaque 17 septembre :

2002, il souffla 68 bougies sur un strudel à Colmar ds le Ht-Rhin [68],
2003, 69 bougies dans le Rhône [69] où il visita le musée Guignol et dîna dans une traboule en trinquant à la mémoire des canuts,
2004, en Hte-Saône [70] à Vezoul, sur la trace de Brel,
2005, en Saône&Loire [71] à Macon,
2006, dans la Sarthe [72] au Mans,
2007, en Savoie [73] à Chambéry,
2008, en Hte-Savoie [74] au bord du lac d’Annecy,
2009, à Paris [75] dîner au Petit Gavroche avec sa belle-sœur,
2010, en Seine-Maritime [76], dans le vieux Rouen,
2011, en Seine&Marne[77] pic-nic perché sur un rocher à Fontainebleau en lisant Tintin chez les Soviets,
2012, ds les Yvelynes [78] à Auvers-sur-Oise sous l’arbre de Vincent,
2013, ds les 2-Sèvres [79] à Lusignan avec la fée Mélusine,

2014, ds la Somme [80] au milieu des oiseaux de la Baie,
2015, ds le Tarn [80], un cassoulet à Gaillac,
2016, ds le Tarn1Garonne [81] à  la fête des fruits de Moissac,
2017, ds le Var [82] à Fréjus, pénultième case du jeu de l’oie.

Lot de consolation, ce gag survenu au Mans confié par le Donquichottesque-Dodo :

L’été 72, je devîns pote avec un charcutier repéré pour ses rillettes à tomber par terre, et devinez qui je rencontre quand un matin, j’arrive à la boucherie de Dédé pour y prendre mes andouillettes ? Un ami de lycée, client de Dédé qui prépare les andouillettes à la mode de sa mamy qui lui en cuisina à Troyes [Aude-10] pour ses 10 ans ! Il embraya sur le jambon dégusté à Bayonne pour ses 64 ans mais ceci est une autre histoire.

À Dodo-Dédé !

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