Cherchez la femme !

Prune est née à la clinique des Bluets, mais pour ma deuxième fille, j’ai choisi d’accoucher à la maternité de l’Hôtel-Dieu dont les ailes du bâtiment – les salles Sainte-Delphine & Sainte-Sophie, non ce n’est pas à Istanbul, mais à Panam ! – donnaient sur la Seine face à l’Hôtel-de-Ville. Je garde un souvenir enchanté de ce séjour à l’AP-HP… gags, rencontres, fou-rires ont accompagné l’arrivée d’Agathe ! Je prenais ma douche dans la salle d’eau située sur la façade Sud de l’Hôtel-Dieu et, en me savonnant, j’apercevais par le carreau les tours de Notre-Dame et entendais sonner le bourdon… La nuit, les lumières des bateaux-mouches balayaient le plafond de la chambre qu’Agathe et moi nous partagions avec Colette et Manon. 

Agathe a été bercée par les anecdotes concernant sa naissance racontées aux amis : la surprise de son père qui a partagé l’ascenseur vers mon 2ème étage avec une femme, mains menottées dans le dos, qu’une policière menait au 4ème et dernier étage où les détenues sont conduites depuis la prison quand les contractions imminentes annoncent la naissance de leur bébé qu’elles pourront garder quelques mois avec elles dans leur cellule… Mon compagnon est sorti livide de l’ascenseur en laissant la jeune femme déchirée par les douleurs monter vers « la salle de travail » réservée aux prisonnières dans la soupente de l’Hôtel-Dieu… Pour moi, ça a été plus joyeux : au moment de « l’expulsion », la sage-femme a sorti de sa poche un bonnet fushia dans lequel elle a enfoui sa chevelure par mesure d’hygiène… et pour moi qui venais en vélo jusqu’à la pénultième visite néo-natale et avais traversé le pont d’Arcole pieds en canard, ventre en avant pour l’ultime avant le grand jour, j’eus l’impression devant cette jeune femme en bonnet de ski, arcboutée vers mon orifice, qu’elle s’élançait pour un grand schuss sur une piste noire et j’hoquetais de rire ! 

Elle était si sympa que je répétais souvent qu’il faudrait qu’on aille un jour la saluer, lui apporter des chocolats et lui montrer comme Agathe pousse bien ! Hélas, comme tant de services publics, la maternité de l’Hôtel-Dieu a été supprimée depuis et c’est une autre histoire que je vais vous raconter ici… une histoire qui commence un jour gris de frimaire 1993 au marché des Enfants-Rouges : 

« Quelle n’est pas ma surprise quand, un matin, j’arrive à la boucherie de Dédé pour y prendre mon andouillette ? J’ai oublié mes mitaines et piétine de froid pendant qu’il pèse ma commande ; c’est alors que, glissant mes doigts gelés au fond des poches de ma doudoune, je sens le papier froissé d’une lettre arrivée ce matin que je n’ai pas encore ouverte… un timbre italien ! C’est Sandra ! [J’ai rencontré Sandra − que j’appelle Sandrissima − dans le Yorkshire des années 70 où elle passait comme moi une année et notre amitié a perduré au fil des ans.] Elle m’annonce qu’elle débarque avec ses 2 moufflets de 5 et 8 ans pour leur faire visiter Paris avant le rush des vacances de Noël [Tour Eiffel, la Villette, le Louvre, Orsay, Euro-Disney, la totale !] Puis-je l’héberger une semaine ? Of course ! On est déjà 5 avec le chat, on se tassera ; plus on est de fous… 

Nous y voilà, ils sont là. Je les aide à organiser leur planning pendant que Prune va au collège, Agathe en maternelle et moi au boulot. Mais mercredi, c’est le grand jour : instit, je n’ai pas classe, ni Gatoune. Je propose de guider jusqu’à midi le trio romain dans la capitale, à pinces depuis notre rue Charlot. Agathe hurle d’excitation : « MOI AUSSI, MOI AUSSI ! » OK, elle sera de la partie, à condition que je la ramène faire la sieste l’après-midi comme c’est l’usage dans sa classe de « Petits ». On embarque un pique-nique dans nos sacs-à-dos et andiamo pour le parcours prévu : balade dans le Marais jusqu’à Beaubourg, Forum des Halles, Pont Neuf, Square du Vert-Galant où boulotter nos sandwiches et je ramène ma petiote de 3 ans faire sa sieste en laissant les Romains flâner le long du quai de la Mégisserie, des bouquinistes jusqu’à l’Île de la Cité, le marché au fleurs et Notre-Dame… Or, une fois le déjeuner avalé au soleil, Gatoune, ma toute petiote, ne veut rien savoir : « JE VEUX PAS RENTRER À LA MAISON ! ENCORE ! JE VEUX RESTER AVEC LES COPAINS, ENCORE ! MAIS JE VEUX PAS ALLER VOIR NOTRE DAME… » Je dois me résoudre à traîner ma vaillante petite touriste en herbe sur les trottoirs de Panam jusqu’à la tombée de la nuit pour un mercredi sans sieste. Cependant, plus nous approchons du point final de notre virée, plus je sens Agathe soucieuse. Elle tient le coup sans sieste mais répète comme un disque rayé qu’elle n’ira pas voir Notre-Dame. On arrive au Pont d’Arcole. 

— On est presque arrivé à Notre-Dame ! dis-je pour encourager ma troupe. 

— Bravo Gatoune ! s’exclament Irene et Dario ― les petits Italiens ― félicitant ma petite rouquine qui a gardé le rythme toute la journée comme les « grands »… 

— JE VEUX PAS… PAS Y ALLER ! JE VEUX RENTRER A LA MAISON ! 

On charrie tous Agathe qui a fait 95% du chemin et fait un caprice de bébé à la fin ! Mais elle ne veut rien savoir, poings serrés, yeux sombres… On dirait que ses pieds se scellent dans le bitume à l’entrée du pont d’Arcole. Je tente une explication : 

— Enfin, Gatoune, on a presque fini. On regarde juste l’intérieur de la cathédrale, c’est comme une grande église, puis on rentre vite à la maison en bus… 

Je vois les mirettes de ma rouquinette s’écarquiller d’étonnement : 

— C’est une « église », Notre-Dame ?! C’est pas la dame à qui tu veux apporter des chocolat ? J’ai pas envie d’entrer dans l’hôpital et que tout le monde regarde comme j’ai grandi… Une fois assurée que la « sage-femme » de l’Île de la Cité est une personne distincte de « L’Autre-Dame » dans l’Île de la Cité, Agathe, vaillante petite soldate, décolle avec entrain ses semelles du bitume et s’élance avec nous vers les tours de Notre-Dame. »

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